Le Royal Saint Mart 1853-1945

Quelques photos aux bords dentelés, aux coins écornés sont éparpillées sur le comptoir . L'une d'entre elles, immortalise un jour de première communion, un jour semble -t-il ensoleillé où toute la famille était rassemblée autour du petit Félix Cousteix. De belles tenues pour l'occasion, robes longues, chapeaux et corsets, des femmes apprêtées, des hommes en costume posent pour la photo au pied d'un petit cèdre à peine plus haut que le communiant. Sur le comptoir encore, des correspondances se perdent au milieu des clichés surannés. Pliées et dépliées maintes fois par cinq générations, elles en sont fragilisées mais constituent une partie de l' histoire de l'établissement. Sur des bouts de papier jaunis par le temps, des lettres cursives bien dessinées, écrites à la plume, des écritures élancées et dynamiques et quelques vieilles notes. Enfin, des cartes postales en nuances de gris ou sépia témoignent d'un passé sublimant l'apogée du thermalisme: Sur l'une d'entre elles, un homme coiffé d'un chapeau haut de forme attend patiemment les voyageurs. Il est assis sur une voiture à cheval, le dos courbé et attend patiemment devant la gare de Royat Chamalières. Sur le toit de la carriole se dresse une pancarte sur laquelle on peut lire : Royal Saint Mart.

Ces souvenirs conservés précieusement témoignent d'un passé, prétexte pour madame Carrot Dulac et ses filles de se remémorer l'histoire de leur famille et de cet établissement prestigieux. Ces morceaux de papier sont le support de l'émotion. Les murs sont là, les générations se succèdent et la mémoire se transmet.

 

Les origines de Saint Mart

Saint Mart était un ermite qui vivait dans des grottes à Royat aux alentours de 450. Il aurait guéri miraculeusement de nombreuses personnes dont le père de Grégoire de Tours. La seule statuette le représentant se trouverait à Saint Alyre, en face de la chapelle. Suite à la canonisation de cet illustre ermite « Martius », a été construit à Royat l' Abbaye de Saint Mart. Aujourd'hui disparue, l'hôtel en a gardé la crosse d'abbé mitré en fer forgé perchée sur le toit de l'établissement. La crosse est encordée. Elle permet de cacher un bois irrégulier beaucoup moins précieux qu'une crosse d'évêque. Aujourd'hui, tous les porte-clés du Royal Saint Mart représentent le blason de l'abbaye : Trois fleurs de Lys sur fond azur de part et d'autre des initiales forment le blason en premier plan apposé sur cette crosse d'abbé mitré.

 

L'histoire de cet établissement renommé a débuté en 1853 avec Hippolyte Cousteix, le père de Félix qui pose devant le cèdre. Nous sommes en pleine apogée du thermalisme. L'établissement se prénomme à cette époque là : Hôtel et Villa Saint Mart. C'est Félix qui dans les années 1900 rattachera l'hôtel et la villa pour ne faire qu'un seul bâtiment. La liaison se fera par une immense verrière d'une dizaine de mètres de hauteur abritant un salon d'hiver où flotte dans l'air des essences d'arbres fruitiers venus tout droit de l'Orient. Le Royal Saint Mart prospère .

La seconde guerre mondiale va malheureusement perturber cette sérénité. 30 hôtels et 60 villas vont être réquisitionnés dont le Royal Saint Mart. Officiellement, il deviendra l' Office du Retour à la Terre de 1940 à 1942 mais il abritera en fait les Services Spéciaux de la défense nationale. Le Général Rivet dirigera l'action clandestine contre l'occupant des services de renseignements et de contre espionnage français et assurera la liaison avec les armées alliées. Les poules et les lapins dans le jardin ne seront qu'une façade. En 1942, en pleine nuit toutes les archives des services spéciaux sont déplacées sur trois sites : à Lyon où elles seront jetées dans le fleuve par la suite, à Marseille où elles seront brûlées en 1943. Seules demeureront intactes les archives transportées dans une ferme de Massiac appartenant à la famille Cousteix. En une nuit, le Royal saint Mart se vide et les allemands y installent un service de l'Armée de l'Air. A la fin de la guerre, le Royal Saint Mart est dévasté. Tout le mobilier a été cassé ou brûlé. Ce n'est plus qu'un spectacle de désolation . Les murs sont intacts, le cèdre bleu a grandi et s'est enraciné.